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Henri Gougaud, "Le Livre des amours : Contes de l'envie d'elle et du désir de lui"

Posted By: TimMa
Henri Gougaud, "Le Livre des amours : Contes de l'envie d'elle et du désir de lui"

Henri Gougaud, "Le Livre des amours : Contes de l'envie d'elle et du désir de lui"
Label: L'autre Label | 1999 | French | MP3 192 Kbps | Lenght: 01:02:26 | 82.43 Mb

Ces onze contes sont soit traduits et adaptés, soit écrits par des écrivains contemporains à partir de la tradition orale.
Puisant dans tous les pays, Henri Gougaud a réuni un florilège des contes et mythes érotiques où se dit, innocemment, le désir, l'accointance entre homme et femme, l'appétit de jouissance, bref le bon usage de ce que le Créateur nous a mis au carrefour des jambes et du ventre. Pour nos ancêtres simples, il va de soi que la force d'aimer prend sa source dans le Maître de la Création, et qu'il n'est pas de plus joyeux devoirs que de célébrer ces outils qui nous furent donnés pour le servir.
« Iktomé le faraud »
Assis dans un coin du tipi, Iktomé regardait sa femme.
Il grognait du nez, le front bas. Il pensait : « C'est une vieillarde. Son haleine pue l'eau croupie. Elle est ridée comme une noix. Ses seins pendent. Deux outres flasques. Baiser ce sac d'os ? Non merci.
Mon héroïsme a des limites. Une ardente au cul dégourdie, une charnue, une jeunette, un fruit de saison frais cueilli, voilà ce que mon cœur exige, et parbleu, je dois l'écouter. »
Sa vieille triait des légumes. Elle savait bien ce qu'il pensait.
Elle se disait, l'œil en dessous : « regardez-moi ce vieux babouin ! Il s'imagine besognant quelque couche-toi-là-j'arrive. L'escroc !
Je le connais par cœur. Il s'y voit, le fourbe ! Il en bave ! Et il n'est même pas capable de me fourrer le merle au nid une fois toutes les dix lunes. Patience, mon beau, je t'aurai. »
- J'ai du travail, dit Iktomé.
Elle répondit : - J'en suis sûre.
Il sortit, humant l'air léger.
Comme il allait par le village il aperçut, tressant ses nattes devant sont tipi en peau d'ours, une fille aux grands yeux rieurs. Des clochettes tintaient autour de ses poignets. Ses doigts étaient gracieux comme
des oiseaux-mouches. Il eut presque, à la contempler, le vertige des hautes cimes. Il prit un grand souffle. Il pensa : « Voilà ce qu'il me faut. Parole d'Iktomé, je coucherai ce soir avec cette merveille. »
- Jeune fille, bonjour à toi. Ton tipi abrite une reine.
« Beau début », se dit-il, content. Elle eut un rire d'hirondelle. Il poursuivit, clignant d'un œil :
- Mon habit est plein de surprises. En veux-tu ? Je t'en donnerai.
La fille rit et rit encore.
- Cette nuit, ma beauté, je viendrai te rejoindre. Tiens-toi sur la litière à gauche de la porte. Je me glisserai près de toi.
Elle rit à s'en mouiller les yeux.
- Je suis, sans me vanter, un amant valeureux. Tu n'oublieras jamais, ma gazelle de miel, le plaisir qui t'attend !
Elle rit à en perdre le souffle. Elle pensait : « Ce vieux est cocasse. » Et Iktomé: « Elle rit ? C'est bon. »
- Je dois partir, dit-il en resserrant d'un cran sa ceinture de daim sur son ventre replet. Ma belle, à tout à l'heure !
Du seuil de son tipi sa femme avait tout vu, presque tout entendu, en tout cas tout compris. A peine l'époux disparu, un œil à droite, un œil à gauche, elle s'en vint à la beauté brune.
- Ne me dis rien, je sais. Il t'amuse ? C'est bien. Moi, ma fille, il m' enrage. Écoute. Cette nuit tu me prêtes ta place, et moi jusqu'à demain je te laisse mon lit, ma couverture rouge et mon rôti de cerf.
- Tu as un beau collier.
- Il te plaît ? Je te l'offre.
- Entre, tu es chez toi, minauda la joyeuse.
A l'heure du Hibou, comme chacun chez soi ouvrait sa boîte à rêves, rampant à l'aveuglette Iktomé s'avança, palpa la couche tiède, effleura dans le noir le corps nu de sa vieille.
- Jolie fille, c'est moi, Ikto, ton amoureux.
Un roucoulement doux accueillit son murmure.
- Oh, ce souffle odorant ! Au diable les relents nauséeux de ma femme ! Oh, ma fraise des bois !
L'obscurité gloussa.
- Oh, ces seins drus et fermes ! Oh, ces tétons raidis ! Et moi qui n'ai connu que les sacs pendouillant de ma vieille coquine ! Oh, je me sens revivre !
Un rire de ruisseau lui cascada dessus.
- Oh, le feu de ces cuisses ! Oh ma louve ! Oh, c'est bon ! J'ai si longtemps baisé un fagot de bois mort!
Un pépiement grinçant lui troua les oreilles.
- Et tu mouilles, oh, merveille ! Oh, juteuse groseille ! Oh, désert conjugal, pourquoi m'as-tu laissé si longtemps assoiffé ?Un long hululement mêlé d'insultes rares émerveilla ses sens.
- Je jouis ! Oh, mon ciel ! Ma voie lactée ! Ma lune !
Il s'abattit, rompu, dans l'humide chaleur d'un souffle ricanant. Il reprit ses esprits.
- Alors, dit-il, heureuse ?
Sa compagne de lit s'esclaffa de plus belle. « Elle glousse ou elle ricane, elle roucoule, elle pépie, pensa le vieux faraud. Par la bouche d'en haut elle est sotte à mourir, mais sa bouche d'en bas dit assez bien les choses. »
- Bon, je m'en vais, dit-il. Je reviendrai ce soir.
Le temps qu'il baguenaude un peu dans le village, chacune des deux femmes avait rejoint son nid. Au seuil de son tipi :
- J'ai une faim de loup ! cria le revenu.
Son épouse bondit de l'ombre avec un bâton moulinant. Le premier coup fut pour son crâne.
- Ah mon haleine pue ! Répète, vieux péteux !
- Yayay ! Holà, du calme !
- Ah mes tétons sont flasques ! Et ça, dis, c'est comment?
- Pas si fort, tu me tues ! Ouille ! Mon cœur ! Mon épaule!
- Ah je suis un fagot à l'entrecuisse pâle !
- Pas le dos ! Au secours ! Je t'en supplie ! Ahi !
Il s'en fut en traînant une patte hors d'usage, une main sur les reins, une autre cherchant Dieu. Il courut jusqu'à la rivière, s'assit, pensa : « Réfléchissons. L'évidence s'impose, épouvantable et simple. J'ai couché
cette nuit avec ma vieille peau. La brute ! Elle m'a trompé. Hé, mon sens du toucher si subtil d'ordinaire a d'inquiétants ratés. A l'avenir, prudence. Et pour l'instant, mon bon, de la diplomatie. Retournons sans tarder à nos nécessités.
Il s'en revint chez lui.
-Allons, faisons la paix, dit-il, les bras ouverts. Le soleil te va bien, le sais-tu, ma mignonne ? Oh, voyez ce minois ! Tu es vraiment jolie. Radieuse, c'est le mot. Coquine, ne nie pas. Avoue que ton Ikto t'a donné du plaisir. Allons, embrasse-moi.
En flairant l'alentour :
-Qu'y a-t-il ce matin au petit déjeuner ?


Après une licence de lettres décrochée à Toulouse, il monte à Paris. Débuts en 1963 à l'Écluse, cabaret dont il apprécie l'atmosphère et le public. Il écrira des chansons pour les autres : Juliette Gréco, Francesca Solleville, Serge Reggiani (« Paris ma rose ») et Jean Ferrat (« Cuba si », « la Matinée », avec Christine Sèvres). Dans les années 70, on le retrouve conteur sur France-Inter et écrivain, auteur d'une dizaine de livres, dont le Grand Partir. Organisateur de nombreux festivals de conteurs, il est à l'initiative de la renaissance de cet art.

Henri Gougaud, "Le Livre des amours : Contes de l'envie d'elle et du désir de lui"


Henri Gougaud, "Le Livre des amours : Contes de l'envie d'elle et du désir de lui"