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Alain Gresh, "Israël, Palestine : Vérités sur un conflit"

Posted By: TimMa
Alain Gresh, "Israël, Palestine : Vérités sur un conflit"

Alain Gresh, "Israël, Palestine : Vérités sur un conflit"
Publisher: Fayard | 2007 | ISBN: 2213634645 | French | EPUB | 265 pages | 0.36 Mb

Pourquoi les espoirs de paix au Proche-Orient, nés de la poignée de main historique entre Yasser Arafat et Itzhak Rabin en 1993, se sont-ils effondrés ? Pourquoi la violence marque-t-elle le Proche-Orient depuis soixante ans ? Quelles sont les racines historiques du problème ? Quels rapports existe-t-il entre les juifs, le sionisme, l'antisémitisme, la Shoah et la création d'Israël ? Quelle est l'origine du drame des réfugiés palestiniens ?
À ces questions et à quelques autres ce livre cherche des réponses, loin des points de vue communautaires qui voudraient que les juifs soient solidaires d'Israël et les musulmans des Palestiniens. L'auteur défend une position universaliste replaçant les événements dans un cadre d'analyse qui Leur donne un sens global. Car pourquoi ce qui vaut pour l'ex-Yougoslavie ou l'Afrique du Sud ne vaut-il pas en Palestine-Israël ? La Terre sainte nous ferait-elle perdre le nord ? Acceptons d'utiliser, pour comprendre cet «Orient compliqué», la boussole de la raison humaine.

Alain Gresh est journaliste au Monde diplomatique et auteur de plusieurs ouvrages, dont L'Islam, la République et le Monde (Fayard, 2004 ; Hachette Littératures, 2006), et, avec Dominique Vidal, Les 100 Clés du Proche-Orient (Hachette Littératures, 2006).
Lettre à ma fille

J'ai écrit ce livre pour toi, en pensant à toi et à tous les jeunes de vingt ans. Cela fait plus de deux décennies que j'écris sur le conflit israélo-palestinien, que je donne des conférences sur ce thème, que j'effectue des reportages sur place. J'ai débattu ardemment des droits des Palestiniens, de la nature de l'État d'Israël, de la paix à venir. Convaincu de la force de la raison et de la logique, de la nécessité de surmonter les préjugés, j'ai essayé de comprendre, de faire comprendre cet Orient prétendument compliqué. Je l'ai toujours fait avec passion, car j'ai le Proche-Orient au coeur. J'y suis né et j'y ai grandi. Et j'espère vous transmettre, à toi et à tes frères, au moins une once de ce penchant, bien que mon itinéraire ne soit ni le tien ni le leur.
Avec l'échec des accords d'Oslo, avec la spirale de la violence au Proche-Orient, j'ai été pendant un temps saisi par le découragement. Les espoirs de paix s'effondraient, une nouvelle fois la région se trouvait emportée dans la folie et les affrontements. Pis, le conflit débordait dans l'Hexagone. Des milliers de Français juifs, souvent très jeunes, manifestaient devant l'am­bassade d'Israël, quelques-uns aux cris de «Mort aux Arabes !». Ailleurs, d'autres jeunes Français, souvent d'origine maghrébine, clamaient leur indignation face à la répression en Cisjordanie et à Gaza, quelques-uns aux cris de «Mort aux juifs !». Des synagogues ont été attaquées, brûlées. Les attentats du 11 septembre 2001 à New York et Washington ont ravivé la haine antimu­sulmane et relancé les agressions anti-arabes. Le spectre d'une guerre communautaire flotte sur la «douce France». Au-delà de la condamnation de principe de toutes les manifestations d'antisémitisme, les responsables politiques ont paru paralysés. Dans les collèges, les lycées, des enseignants tétanisés expliquaient qu'ils préféraient garder le silence plutôt qu'ouvrir le débat : les solidarités «communautaires» - les «feujs» avec Israël, les «beurs» avec les Palestiniens, les «Français de souche» regardant ailleurs - paraissaient tellement fortes, tellement «naturelles», tellement insurmontables; il valait mieux éviter de les exacerber.
Comment consentir à cette vision ? Pour moi, cela reviendrait à abdiquer les principes qui ont fondé mon travail, mes engagements, mes convictions. J'appartiens à une génération qui est venue à la politique - comme on dit venir au monde - dans les années 1960, à travers le formidable mouvement de décolonisation et à la faveur de la lutte, que nous proclamions invincible, du peuple vietnamien contre l'agression des États-Unis. Les clivages étaient alors politiques - idéologiques, oserais-je ajouter si ce mot n'avait désormais mauvaise presse. Ni les origines des uns, ni la religion des autres n'avaient de poids dans nos analyses, nos luttes, nos certitudes. Nous nous voulions partie intégrante de l'humanité, au-dessus des préjugés, des assignations de la «race» ou même de la nation. C'est ce qui nous avait séduits dans le message universaliste du marxisme : «Prolétaires de tous pays, unissez-vous !»
Certes, le conflit israélo-arabe était plus compliqué que la guerre du Vietnam. La crise de l'été 1967 avait d'abord paniqué nombre de Français juifs, persuadés que la survie d'Israël était en jeu, puis la victoire écrasante de ce dernier sur l'Egypte, la Syrie et la Jordanie les avait enthousiasmés, ainsi qu'une bonne partie de l'opinion publique. Le poids du génocide des juifs, le mythe du kibboutz socialiste (exploitation agricole collective), mais aussi le sentiment de «revanche» anti-arabe cinq ans seulement après la fin de la guerre d'Algérie - autant de facteurs qui expliquaient ces prises de position unilatérales en faveur d'Israël. Mais, pour l'essentiel, les affrontements restaient politiques. Et dans les organisations communistes et d'extrême gauche, où des juifs militaient en nombre, nous défendions, encore une fois, des positions internationalistes.
Pourtant, nous étions les héritiers d'une tradition nationale. Nous étions encore fascinés par ces Français déclarés traîtres à leur patrie pour s'être engagés aux côtés du Front de libération nationale algérien; on les appelait les «porteurs de valise». Contrairement à Albert Camus, ils avaient préféré la justice à «leur mère». Né en Egypte d'une mère d'origine juive russe et d'un père copte, athée mais respectueux des croyants, je me reconnaissais dans le pays des Lumières. Je te l'ai déjà dit, ma fille, j'ai l'immense privilège d'avoir «choisi» ma nationalité : le lycée du Caire m'avait fait français de culture et de coeur, même si je ne l'étais pas de sang. J'admirais Voltaire. Il s'était engagé dans l'affaire Calas, défendant ce calviniste accusé en 1761 d'avoir tué son fils prétendument converti au catholicisme, et exécuté l'année suivante à Toulouse. L'affaire avait divisé la France. Il avait fallu attendre 1765 pour que Calas soit réhabilité après que Voltaire eut plaidé sa cause avec tout le talent et l'énergie qu'il mettait, par ailleurs, à combattre les fanatismes religieux, y compris le protestantisme, et les privilèges des Églises.


Alain Gresh est journaliste au Monde diplomatique et auteur de plusieurs ouvrages, dont L'Islam, la République et le Monde (Fayard, 2004 ; Hachette Littératures, 2006), et, avec Dominique Vidal, Les 100 Clés du Proche-Orient (Hachette Littératures, 2006).


Alain Gresh, "Israël, Palestine : Vérités sur un conflit"