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Gilles Deleuze, "Francis Bacon : Logique de la sensation"

Posted By: TimMa
Gilles Deleuze, "Francis Bacon : Logique de la sensation"

Gilles Deleuze, "Francis Bacon : Logique de la sensation"
Seuil | 2002 | ISBN: 2020500140 | French | EPUB | 158 pages | 1.3 Mb

Le mot des éditeurs : "Le livre de Gilles Deleuze sur Francis Bacon est bien autre chose que l'étude d'un peintre par un philosophe. Est-il du reste "sur " Bacon, ce livre ? Et qui est le philosophe, qui est le peintre ? Nous voulons dire : qui pense, et qui regarde penser ? On peut certainement penser la peinture, on peut aussi peindre la pensée, y compris cette forme exaltante, violente, de la pensée qu'est la peinture. (…) Nous avons donc décidé de republier ce livre dans la collection L'Ordre philosophique, où tout livre a pour fonction d'y faire désordre". Alain Badiou et Barbara Cassin.

«Pitié pour la viande ! Il n'y a pas de doute, la viande est l'objet le plus haut de la pitié de Bacon, son seul objet de pitié, sa pitié d'Anglo-Irlandais. Et sur ce point, c'est comme pour Soutine, avec son immense pitié de Juif. La viande n'est pas une chair morte, elle a gardé toutes les souffrances et pris sur soi toutes les couleurs de la chair vive. Tant de douleur convulsive et de vulnérabilité, mais aussi d'invention charmante, de couleur et d'acrobatie. Bacon ne dit pas «pitié pour les bêtes» mais plutôt tout homme qui souffre est de la viande. La viande est la zone commune de l'homme et de la bête, leur zone d'indiscernabilité, elle est ce «fait», cet état même où le peintre s'identifie aux objets de son horreur ou de sa compassion. Le peintre est boucher certes, mais il est dans cette boucherie comme dans une église, avec la viande pour Crucifié («peinture» de 1946). C'est seulement dans les boucheries que Bacon est un peintre religieux.»G. D.
« C’est une erreur de croire que le peintre est devant une surface blanche. La croyance figurative découle de cette erreur : en effet, si le peintre était devant une surface blanche, il pourrait y reproduire un objet extérieur fonctionnant comme modèle. Mais il n’en est pas ainsi. Le peintre a beaucoup de choses dans la tête, ou autour de lui, ou dans l’atelier. Or tout ce qu’il a dans la tête ou autour de lui est déjà dans la toile, plus ou moins virtuellement, plus ou moins actuellement, avant qu’il commence son travail. Tout cela est présent sur la toile, à titre d’images, actuelles ou virtuelles. Si bien que le peintre n’a pas à remplir une surface blanche, il aurait plutôt à vider, désencombrer, nettoyer. Il ne peint donc pas pour reproduire sur la toile un objet fonctionnant comme modèle, il peint sur des images déjà là, pour produire une toile dont le fonctionnement va renverser les rapports du modèle et de la copie. Bref, ce qu’il faut définir, ce sont toutes ces “ données ” qui sont sur la toile avant que le travail du peintre commence. Et parmi ces données, lesquelles sont un obstacle, lesquelles une aide, ou même les effets d’un travail préparatoire.

En premier lieu, il y a des données figuratives. La figuration existe, c’est un fait, elle est même préalable à la peinture. Nous sommes assiégés de photos qui sont des illustrations, de journaux qui sont des narrations, d’images-cinéma, d’images-télé. Il y a des clichés psychiques autant que physiques, perceptions toutes faites, souvenirs, fantasmes. Il y a là une expérience très importante pour le peintre : toute une catégorie de choses qu’on peut appeler “ clichés ” occupe déjà la toile, avant le commencement. C’est dramatique. Il semble que Cézanne ait effectivement traversé au plus haut point cette expérience dramatique : il y a toujours déjà des clichés sur la toile, et si le peintre se contente de transformer le cliché, de le déformer ou de le malmener, de le triturer dans tous les sens, c’est encore une réaction trop intellectuelle, trop abstraite, qui laisse le cliché renaître de ses cendres, qui laisse encore le peintre dans l’élément du cliché, ou qui ne lui donne pas d’autre consolation que la parodie. »

Gilles Deleuze, "Francis Bacon : Logique de la sensation"


Portrait d'Innocent X (Velasquez, 1650) & Étude d’aprés le portrait d’Innocent X (Bacon, 1953)

« Bacon fait la peinture du cri, parce qu’il met la visibilité du cri, la bouche ouverte comme gouffre d’ombre, en rapport avec des forces invisibles qui ne sont plus que celles de l’avenir… La vie crie à la mort, mais justement la mort n’est plus ce trop-visible qui nous fait défaillir, elle est cette force invisible que la vie détecte, débusque et fait voir en criant ».



Gilles Deleuze, "Francis Bacon : Logique de la sensation"